Un hommage à Salvador Dali (extrait) – 2008

« O Salvador Dali à la voix olivâtre, je dis ce que me dit ta personne et ton œuvre »

F.G. Lorca, Ode à Salvador Dali

Puisqu’il est à la mode de parler de son passé de cancre lorsqu’on est devenu célèbre, rappelons que Salvador Dali enfant en était un véritable, incapable d’enregistrer quoique se fut, et passant ses journées à « interpréter» les dessins que forment les craquelures de peinture sur les murs de sa classe. Dans cette faculté de « voir » des images dans les formes trouve-t-on peut-être l’origine des « images doubles » que le peintre a souvent utilisées et qui consistent à superposer deux images dans un même tableau. On peut y déceler aussi la source de sa méthode « paranoïaque-critique » dont, je site, il « ne sait pas en quoi elle consiste, mais (qui lui) a fait gagner énormément de dollars ». C’est en fait l’habitude qu’avait Salvator Dali de se projeter dans toute image que son regard croisait qui jouait alors le rôle d’un révélateur d’inconscient, et ensuite d’exploiter cette vision en toute conscience par le biais de l’écriture picturale. L’originalité de Dali tient peut-être à cette dualité intuition/intelligence ou inconscience/conscience qu’il a su si bien développer en toute liberté, lui qui ne rejetait aucun caprice de son esprit. 

C’est ainsi qu’il eut la vision dans un camenbert coulant, de sa célèbre « montre molle ». C’est aussi grâce à cette méthode que dès son enfance (inconsciemment à l’époque mais développé brillamment plus tard dans l’un de ses meilleurs livre « Le mythe tragique de l’Angélus de Millet »), il fit une interprétation paranoïaque complexe du célèbre tableau « L’Angélus » de Millet maintes fois représenté et réinterprété dans ses propres oeuvres, y voyant, notamment, plutôt que la simple allusion à la traditionnelle prière de deux paysans au moment du tintement de l’Angélus, celle d’un couple se recueillant sur le cercueil de leur  enfant mort. Rappelons que Salvador Dali eut un frère portant le même prénom que lui, mort un an avant sa propre naissance…

Salvador Dali, enfant maladivement timide, enfant perturbé ayant profondément conscience de « remplacer » un être mort, enfant archi-gâté par sa mère, cancre mais enfant surdoué en dessin, jeune homme admiré de son ami Federico Garcia Lorca, être à la dérive sauvé de la folie par sa femme et muse Gala, devint par son immense talent de peintre, par son exigence de créateur, le génial inventeur que chacun de nous connaît, qui par l’originalité de ses visions fut l’élément phare du surréalisme, mais dont on ne retint bien souvent que l’image « public » du clown original faisant des pitreries dont les journalistes du monde entier firent bonne pâture. 

Quoi qu’il ait dit, fait ou pas fait, peut-être dit ou peut-être fait, je reste un inconditionnel de Salvador Dali et je préfère laisser de côté toutes spéculations inutiles et me transporter par l’imagination – et vous convier – auprès du travailleur infatigable qu’était le peintre Dali, dans le lieu qu’il préférait parmi tous – lui qui était pourtant l’invité des personnalités les plus riches de Paris ou de New-York – la petite crique de Portlligat près de Cadaques où il s’était installé avec Gala dans ce qui fut au début qu’une simple cabane de pêcheur, au cœur d’une géologie extraordinaire – la plaine de l’Ampurdan – face à la Méditerranée qu’il vénérait, et d’y vivre par la musique une journée imaginaire rythmée par les tintements de l’Angelus et de sa volée de cloches, une journée éclairée par la lumière méditerranéenne, vibrant du « vent jaune » et du chant des grillons, et d’y rêver de « cristal du poisson », d’« abeilles d’or », d’y croiser « l’enfant muet » et l’enfant-mythe « Narcisse », d’y vivre un « rembobinage » du temps, d’y traverser l’imaginaire « forêt des horloges », d’y ouvrir « l’Herbier des bruits », d’y entendre – comme une image double – l’apparition furtive du « Salve Regina » de Pergolèse, et de vous y recueillir dans les belles paroles latines de l’Ange Gabriel et d’Elisabeth : Ave Maria, gratia plena , Dominus tecum. Benedicta tu in mulieribus, et benedictus fructus ventris tui,… Dali ! Le Sauveur de la peinture moderne ! C. de C.

Les textes

Tous les textes sont de Federico Garcia Lorca exceptée la prière « Ave Maria » utilisée ici dans sa version originelle, c’est à dire  comportant uniquement la salutation de l’Ange Gabriel et celle d’Elisabeth, selon le texte de Saint Luc (I, 28 et 42).

1.CHAIR  (extrait de « Ode au très saint sacrement de l’autel »)

Au nom du Père, roc, lumière et ferment.
Au nom du Fils, fleur et sang répandu,
dans le visible feu de l’Esprit Saint,
Eve brûle ses doigts encore teints de la pomme.

2.MEDITERRANÉE (extrait de « Le Palmier » poème tropical)

Mer latine !
palmiers 
et oliviers !
Cri de la palme
ou silence du pin,
j’entends, comme une immense
colonne, monter ton bruit
par-dessus toutes les mers.
Mer latine !
Entre les tours blanches
et le chapiteau corinthien
la voix de Jésus-Christ
t’a traversée en glissant.
Mer latine !

3. CADAQUÉS (extrait de « Ode à Salvador Dali »

Cadaqués au fléau de l’onde et du coteau
élève ses gradins et cache ses coquilles.
Dans l’air que pacifie une flûte de bois
un ancien dieu sylvestre offre aux enfants des fruits.
Ses pêcheurs dorment sans rêver sur le rivage,
En haute mer ils ont pour boussole une rose.
L’horizon vierge de mouchoirs blessés unit 
le cristal du poisson à celui de la lune.

4. CHANSONNETTE SEVILLANE

L’aube luisait
sur les orangers.
Des abeilles d’or
cherchaient le miel ?
Où peut-il être,
ce miel ?
Il est dans la fleur bleue,
Isabelle,
dans la fleur
là-bas du romarin.
(Tabouret d’or
pour le More,
et de paillettes
pour la mauresque.) 
L’aube luisait
sur les orangers.

5.MEMENTO Vent de plaine (extrait de « Six chansons crépusculaires »)

La lune est enfin morte do-ré-mi
Nous allons l’enterrerdo-ré-fa
dans une rose blanchedo-ré-mi
à tige de cristaldo-ré-fa.
Au bas des peupliersdo-ré-mi
s’est emmêlée aux roncesdo-ré-fa.
Je m’en réjouis cardo-ré-mi
c’était un prétentieuse !do-ré-fa.
Aussi jamais n’eut-elledo-ré-mi
ni mari ni galantdo-ré-fa.
Quelle tête fera le ciel !do-ré-mi.
Ah, quelle tête il fera do-ré-mi
lorsqu’à la nuit tombantedo-ré-mi
en mer ne la verrado-ré-fa.
Tous à l’enterrementdo-ré-mi
chantez les patenôtres !do-ré-fa.
Dame Malbrough est mortedo-ré-mi
à la face étoiléedo-ré-fa.
Ô cloches sur les toursdo-ré-mi
sonnez, sonnez le glas !do-ré-fa.
Couleuvres des fontainesdo-ré-mi
chantez à pleine voix !do-ré-fa.

6.L’ENFANT MUET (extrait de « chansons »)

L’enfant cherche sa voix
(C’est le roi des grillons qui l’a.)
Dans une goutte d’eau
cherchait sa voix l’enfant.
Je n’en veux point pour parler.
Je m’en ferai une bague
que portera mon silence
autour de son petit doigt.
Dans une goutte d’eau
cherchait  sa voix l’enfant.
(La voix prisonnière, au loin,
mettait un habit de grillon.)

7.CLOCHE (extrait de « Poème de la saeta », de « Poèmes du cante jondo »)

Dans la tour jaune
tinte le glas.
Sur le vent
jaune
s’ouvre le carillon.
Dans la tour 
jaune
cesse la cloche
Le vent dans la poussière 
forme des proues d’argent

8. NARCISSE (extrait de « chansons »)

Enfant.
Tu vas tomber dans la rivière !
Au fond de l’eau est une rose
et dans la rose une autre rivière
Vois cet oiseau ! Regarde
là-bas cet oiseau tout jaune !
Mes yeux sont tombés 
dans l’eau.
Mon Dieu !
Mais il glisse ce garçon !
… et au cœur de la rose moi-même.

9. LA FORET DES HORLOGES (extrait de « La forêt des horloges »)

J’entrais dans la forêt
des horloges.
Frondaisons de tic-tac,
grappes de clochettes
et, sous l’heure multiple,
constellation de pendules.

10. L’HERBIER DES BRUITS (extrait de « Herbiers »)

En grand secret, un ami
me montre l’herbier des bruits.
(Chut !… silence !
La nuit est pendue au ciel !)
Vers le phare d’un port désert
accourent les échos de tous les siècles.
(Chut !… silence !
La nuit oscille dans le vent !)
Chut !… silence
De vieux courroux s’enroulent à mes mains.

11. Coucou-coucou-coucou (extrait de « Coucou-coucou-coucou)

Le coucou divise la nuit
avec ses billes de cuivre.
Le coucou n’a pas de bec,
il a deux lèvres d’enfant
qui sifflent du fond des siècles
Chat,
cache ta queue !
Le coucou va sur le temps
et flotte comme un voilier,
multiple comme un écho
Pie,
cache ta patte !
Face au coucou, le sphinx
_ le symbole des cygnes _
et la fille qui ne rit jamais.
Renard,
cache ta moustache !
Un jour s’en ira au vent
notre dernière pensée,
notre avant-dernier désir.
Grillon,
va-t’en sous le pin !
Seul le coucou restera,
partageant l’éternité
de ses billes de cristal.

12. CHANSON BÊTE (extrait de « Chansons pour les enfants » de « Chansons »)

Maman,
je voudrais être en argent.
Mon fils,
tu auras bien froid.
Maman,
je voudrais être de l’eau.
Mon fils
tu n’auras pas chaud.
Maman,
brode-moi sur ton oreiller.
Ah, ça oui !
Et sans tarder !

13. AVE MARIA

Ave Maria, gratia plena , Dominus tecum.
(Je vous salue Marie, pleine de grâce.)
Benedicta tu in mulieribus, et benedictus fructus ventris tui, Jesus.
(Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles est béni.)

14. O SALVADOR DALI (extrait de « Ode à Salvador Dali »

O Salvador Dali à la voix olivâtre,
Je dis ce que me dit ta personne et ton œuvre.

Nomenclature

2 pianos, chœur d’enfants, 1 fl, 1 sax. sop., 2 sax. alto, 1 sax ten., 1 sax bary., 1 tbn. et 1 cloche.

Durée : 45 min.

Création le 1° avril 2008, Théâtre de la Vignette, Université Paul Valéry, Montpellier.

Par Sophie Grattard et Pascal Jourdan, pianos, Atelier XXI et chœurs d’enfants spécialisé du CRR de Montpellier, dir. Jean-Loup Grégoire.